Les mondes les plus différents

Vive le roi Macron !

Les Français pensaient avoir élu l’auteur de « Révolution ». Ils se retrouvent – bigre – avec un président qui conçoit son rôle comme un monarque. Par RAPHAËL GEORGY

Il n’y avait qu’à entendre les cris d’orfraie poussés par certains commentateurs le jour de la passation de pouvoir pour comprendre notre surprise : Emmanuel Macron se prend pour un roi ! On le savait « en marche », mais pas à cette lenteur. Les soixante mètres de tapis rouge dans la cour de l’Elysée paraissaient en faire le triple. Là où le « président normal » y était allé d’un pas tout guilleret. Mais aussi lorsque l’orchestre de la Garde républicaine s’est mis à jouer « l’Apothéose » d’Hector Berlioz.

Le clou du spectacle, qui en a fait bondir plus d’un, s’est joué à l’Hôtel de ville à Paris où, reçu par la maire comme de coutume, le monarque Macron semblait avoir été assis sur un trône. Citons, une fois n’est pas coutume, quelques gazouillis ou tweets plus ou moins travaillés.

C’est oublier pourtant que l’histoire républicaine en France n’a jamais vraiment rompu avec la royauté. Les architectes de la IIIème République entre 1870 et 1940, tout démocrates qu’ils fussent, se sentaient redevables de toute l’histoire de France, monarchie comprise. Il suffit de visiter les Invalides à Paris pour voir communier ensemble la monarchie, l’empire et la République dans une continuité toute française. Le tombeau de Napoléon côtoie ceux des généraux du roi, comme des maréchaux républicains.

Cerise sur le gâteau, Macron a lui-même mis en avant que les Français « n’avaient jamais voulu la mort » du roi, et même que « ce qu’on attend du président, c’est qu’il occupe cette fonction », dans un entretien à l’hebdomadaire « le 1 » il y a deux ans.

Alors que peut-on garder de la monarchie aujourd’hui ? Certainement pas son absolutisme, dont des millions de touristes vont pourtant admirer les grandioses restes à Versailles. « Le Roi gouverne par lui-même », peut-on lire dans la Galerie des glaces. Rien à voir avec Macron qui, s’il verrouille sa communication et émet désormais des « préférences » quant aux journalistes qui couvrent son action, développe une vision on ne peut plus démocratique.

« Il ne s’agit pas de se poser en tuteur d’un corps social jugé, de manière arbitraire, faible et incapable par lui-même de réaliser le bien. Il s’agit tout au contraire de permettre à la nation de retrouver le mouvement créateur d’une grande histoire » (Révolution, XO, page 37)

On ne gardera pas non plus l’unité religieuse voulue par Louis XIV, qui correspondait à l’absence de liberté de culte. La nation se confondait avec la religion catholique et quiconque pratiquait un autre culte était jugé comme « hérétique » et exclu du royaume. Macron, lui, se dit garant de la loi sur la séparation des Églises et de l’État de 1905.

Le corps du roi

Mais tous les régimes ont leurs défauts. En démocratie, il n’y a personne pour incarner le corps politique tout entier, comme le faisait celui du roi. Comme l’expliquait l’historien Ernst Kantorowicz dans son étude restée célèbre « Les Deux corps du Roi » (1957), le corps politique de la nation, incorporé dans le corps biologique du « roi », devient plus fort. Selon le philosophe Claude Lefort, si le pouvoir n’est plus incorporé dans une personne ou un groupe, la société ne peut plus se figurer elle-même comme un corps organisé par un certain ordre et une certaine hiérarchie.

Remettre en question cet ordre, c’est remettre en question les hiérarchies sociales entre ceux qui délèguent le pouvoir et ceux qui l’exercent, entre ceux qui appartiennent au corps politique et ceux qui y sont extérieurs. Il en va donc de l’unité de la société.

Avec qui Macron s’est-il justement entretenu dans une série de podcasts diffusés à partir de décembre dernier ? Marcel Gauchet, un historien et philosophe qui avance que la société devrait assumer une certaine part d’incarnation du pouvoir, qui revient à assumer une sacralité, pour éviter « la tentation totalitaire ».

Un corps politique comme la France existe toujours au nom d’un idéal qui le dépasse et qui relève du sacré, donc du religieux. Ne dit-on pas des soldats tués au combat qu’ils sont « morts pour la France » ? Si on meurt pour elle, c’est qu’elle relève bien du mystique.

Incarnation du pouvoir

Mais voilà, dans une démocratie comme la nôtre, le peuple n’a le pouvoir que par l’intermédiaire de ses représentants. Le pouvoir est donc désincarné. Voilà la fonction manquante en démocratie que tente de réincarner Emmanuel Macron comme avant lui le général de Gaulle et d’autres : celle du roi incarnant la verticalité du pouvoir. Notons que de Gaulle est cité à maintes reprises dans le livre de Macron, « Révolution ».

Cette verticalité n’est-elle qu’une lubie de royalistes nostalgiques ? Loin de là. Jean-Luc Mélenchon a beau prôner une sixième République contre la « monarchie présidentielle », il n’a jamais dit qu’il souhaitait un régime uniquement parlementaire où le président n’aurait aucun pouvoir. Il semblait même envisager un équilibre entre Parlement et président, sans retirer au président tous ses pouvoirs. Par ailleurs, Clémentine Autain, alors porte-parole du Front de gauche, avait eu cette phrase il y a quelques années : « Je pense que le pouvoir s’incarne », reconnaissait-elle, avant de nuancer : « Mais je ne crois pas à l’homme providentiel ».

Finalement, on peut dire que la révolution opérée par Emmanuel Macron est loin du changement radical, mais se rapproche plus de celle qu’on observe à l’échelle des planètes : un grand tour pour revenir exactement au même point de départ. On aurait pu s’y attendre, venant d’un énarque.

Raphaël Georgy

Fondateur de la revue Pierre

Illustration : photomontage : château de Versailles (photo R.G. pour la revue Pierre) ; Emmanuel Macron par

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