LES CLASSIQUES DE LA MUSIQUE N° 2 — La Symphonie du Nouveau Monde marque l’irruption de mélodies populaires dans le genre très noble de la symphonie classique. Le tout dans des mouvements spectaculaires et magistraux, qui expliquent son immense succès jusqu’à aujourd’hui. Par CHRISTIAN DAGUERRE
Antonin Dvořák est un compositeur tchèque déjà réputé lorsqu’il entreprend, en 1893, un voyage aux États-Unis. Là-bas, une dame de la haute société américaine, Misses Farber, veut créer un conservatoire à New York à l’image de celui de Paris, construit quelques années plus tôt. Elle fait alors appel au compositeur pour diriger cette nouvelle institution et c’est pour le concert d’inauguration que Dvořák écrit sa 9ème et dernière symphonie, une œuvre sans précédent, aux multiples influences.
Cette Symphonie du Nouveau Monde est populaire. L’influence qu’ont exercée les musiques populaires tchèques, les musiques indiennes et noires-américaines sur son œuvre permet de donner un ton nouveau : c’est l’entrée du populaire dans la noble symphonie. Mais celle-ci a aussi inspiré des musiques de variété. C’est le cas de Serge Gainsbourg qui reprend les accords du premier thème dans Initials B.B.. Cette symphonie, jouée en moyenne quatre fois par jour dans le monde, établit donc des liens entre savant et populaire.
Portrait d’Antonin Dvořák. Gallica
Elle a ensuite une dimension épique, théâtrale. Ces thèmes ont tous en chacun d’eux un souffle et une énergie qui nous emportent. Ils sont préparés par des procédés de théâtre qui ne nécessitent aucun effort pour faire ressortir leurs caractères naturels.
Enfin, à l’inverse de sa simplicité apparente, elle possède une richesse et une complexité dans sa construction. Les thèmes subissent des réminiscences — des répétitions comme des souvenirs —, des transformations et des superpositions. Il n’y a plus quatre parties distinctes dans la symphonie, mais un tout unique et cohérent. La symphonie devient un monde en soi, un Nouveau Monde.
Coup de théâtre
La symphonie débute par une introduction qui donne ce ton de légende à l’œuvre. La mélodie suave et nostalgique aux violoncelles puis aux flûtes se laisse imaginer tel un lever de soleil sur une toile de peintre. Le premier mouvement arbore un premier thème dynamique et optimiste joué par les cors et l’ensemble des instruments à vent, tandis que les instruments à cordes l’accompagnent. Le deuxième thème, par sa légèreté, est d’inspiration populaire tchèque : les flûtes et hautbois puis les seconds violons nous offrent une sorte de danse. Le troisième thème entonné d’abord à la flûte seule installe alors une ambiance pastorale, comme une scène de forêt où chante la nature. Les trois thèmes prennent, au cours du premier mouvement, divers aspects tels les affublements d’un personnage de théâtre.
Le mouvement lent de cette symphonie nous plonge dans un univers tout différent. Les quelques accords d’introduction, solennels, se perdent en écho dans les instruments à cordes. Cette douceur introductive laisse place à l’une des plus belles mélodies de l’histoire de la musique. Elle s’inspire d’un poème de Henri Longfellow, Le Chant de Hiawatha, décrivant des scènes indiennes. Cette mélodie qui évoque la mort de la figure légendaire Minnehaha est entonnée par le cor anglais, tout nouvel instrument à l’époque, et qui est une sorte de hautbois mais dont l’extrémité supérieure forme un angle, d’où « cor anglet », mais qui avec le temps est devenu « cor anglais ».
Après la douceur et la poésie du deuxième mouvement, le troisième s’inspire du même chant, décrivant cette fois une fête indienne. On y entend surtout un scherzo, c’est-à-dire, une pièce écrite pour se divertir et se donner de l’énergie. Il commence par un coup de théâtre, typiquement du style de Beethoven. Puis le thème est un petit motif de quelques notes, répété inlassablement par les flûtes et hautbois puis les violons, tandis que les clarinettes le reprennent en canon et les violoncelles l’accompagnent dans un tourbillon de notes.
La Symphonie du Nouveau Monde interprétée lors du premier concert de « l’Orchestre Debout », Place de la République à Paris. Matthieu de Martignac/DR
Ces répétitions et ce tourbillon fait penser à une phrase de la « Danse des Indiens » dans le Chant de Hiawatha : « Cela allait plus vite et encore plus vite, cette danse tourbillonnante, tournoyante en cercle ». Le thème bénéficie alors d’un puissant crescendo avant d’être repris par tout l’orchestre. À la fin du scherzo, chose étrange, les cordes en tremolo agitent l’atmosphère et les cors nous rappellent le thème initial du premier mouvement, superposé à celui du troisième mouvement.
Alors qu’il termine son scherzo comme il l’a commencé — par un coup de théâtre —, Dvořák utilise encore un procédé théâtral pour commencer le finale : une accélération. Celle-ci introduit un thème encore plus connu dans toute l’histoire de la musique ! Il est fièrement exprimé par les trompettes et rythmé par l’orchestre, ce qui lui donne un côté épique et héroïque. Mais la manière d’interpréter un thème fait beaucoup et un jeu plus doux de ce thème peut davantage faire penser à negro spiritual, un genre de musique vocale née chez les esclaves Noirs-Américains. Et l’on sait que Dvořák avait pris connaissance de ses chansons par l’un de ses élèves, Harry Burleigh, chanteur et arrangeur de spirituals.
Ce thème si célèbre évolue au cours du finale, et est repris par l’orchestre avec plus de vigueur à chaque fois. À la fin du mouvement, Dvořák résume habilement la symphonie. Il fait se succéder les thèmes des deuxième, troisième et quatrième mouvements. Puis comme pour clore une histoire, il superpose, dans un tutti — tous les instruments ensemble — époustouflant, le thème du premier et celui du dernier mouvement. Cette conclusion sonne ainsi comme le dessin ultime de la symphonie.
Christian Daguerre
Pianiste et compositeur