Souvent ignorés, les biais cognitifs sont présents chez tous les êtres humains et faussent notre jugement dans la vie de tous les jours. Les connaître permet de les corriger. Par LE SCIENTIFIQUE du DIMANCHE
Avez-vous tendance à rechercher vos propres opinions dans un débat ou dans vos lectures ? Avez-vous tendance à penser que vos réussites sont bien les vôtres mais que vos échecs sont toujours le fruit de circonstances malheureuses ? Avez-vous déjà vu quelqu’un vous dire qu’ils sont « tous les mêmes », laissant entendre que quelques mauvaises personnes sont à l’image de tout le groupe ? Alors vous avez déjà eu à faire à des biais cognitifs.
Ou plutôt, vous les avez déjà rencontrés. En effet, ils sont choses courantes, et je vais vous l’illustrer par plusieurs exemples. Un « biais cognitif » est très logiquement un biais, c’est-à-dire une déviation, un décalage, par rapport à ce qui est réel, et qui a pour origine des processus de la cognition, donc la prise de décision, l’attention, la perception, etc. Autrement dit, les biais cognitifs sont le fruit du travail d’interprétation que fait notre cerveau de notre environnement, bien souvent en le modifiant, le simplifiant.
Pourquoi le fait-il, me demanderez-vous ? Par efficacité, tout simplement : la plupart de ces biais sont issus de réflexes anciens et ancrés en nous pour répondre à des dangers qui n’existent plus, et ces réflexes sont aujourd’hui bien souvent inadaptés à la société dans laquelle nous évoluons.
Mémoire sélective
Prenons un exemple : le biais rétrospectif. Celui-ci consiste à considérer au présent que le passé aurait pu être fait autrement, modifié, s’il avait été mieux anticipé. Ce biais est évidemment visible lorsque nous faisons face à une déception ou à un drame. Typiquement, lorsque Mme Le Pen affirme : « Avec moi, il n’y aurait pas eu les terroristes migrants du Bataclan, de Merah le tueur de militaire et d’enfants juifs », elle entre dans ce cas-là, à savoir qu’elle affirme a posteriori qu’un événement passé aurait pu être évité de par les mesures qu’elle aurait prise au pouvoir.
Autre exemple : le biais de confirmation. Ce biais est extrêmement répandu aussi et il revient à chercher tout ce qui confirme notre propre point de vue, négligeant ainsi tous les autres. Par essence, il se retrouve dans toutes les problématiques ayant trait à la « croyance » (par opposition au savoir démontré objectivement et pouvant être remis en doute). De là découle d’ailleurs ce que nous appelons communément la « mémoire sélective ». Quand bien même nous cherchons à nous confronter à une autre vue, la mémoire pourrait ne conserver que celles qui nous arrangent. En politique, mais ailleurs aussi, ce biais est fortement visible et amène à des débats qui ne sont souvent que des monologues interposés, chacun acquiesçant avec qui est de même point de vue et s’opposant farouchement à celui qui ne l’est pas, indépendamment de toute justesse objective du propos.
En cela, la revue Pierre est un exemple de moyen œuvrant à combattre le biais de confirmation en proposant différents points de vue, plutôt que de proposer un ensemble de points de vue similaires. Cela invite donc le lecteur à s’ouvrir à des positions qui ne viennent pas confirmer les siennes, quand bien même il pourrait ne se souvenir que de celles qui lui conviennent. En effet, les connaître peut aider à les « combattre », dans la mesure où ces mécanismes ne sont pas conscients, et ainsi participer à ne pas tomber dans le piège de la facilité.
Préjugés
Un troisième exemple d’une situation dont vous avez sûrement déjà eu l’intuition serait l’effet de primauté. L’effet de primauté consiste, lors d’un exercice de mémorisation, à se souvenir plus aisément des premiers éléments (et nécessairement des derniers) que ceux du milieu de série. Il explique également pourquoi la première impression d’une personne est si importante et nous marque tant. Cela a été mis en évidence par le célèbre psychologue Soloman Asch, plus connu pour « l’Expérience de Asch », qui montre la puissance du conformisme.
Pour mieux en comprendre le fonctionnement, imaginons une personne à qui l’on demande de mémoriser en peu de temps une liste de trente mots. À la fin de ce temps, nous lui demandons de nous donner tous les mots qu’elle a mémorisés. Les premiers mots, par effet de primauté, ressortiront car ils auront été stockés dans la mémoire à long terme et seront ainsi plus faciles à rappeler le moment venu. Les derniers mots, par effet de « récence », seront encore dans la mémoire à court terme (30 secondes au mieux) et seront donc plus faciles à se souvenir aussi. Tous les mots entre le début et la fin seront plus difficiles à faire revenir car ils ne seront pas dans la mémoire à court terme, limitée en capacité et durée. Et ils ne seront pas aussi bien retenus que les tout premiers dans la mémoire à long terme, donc plus difficiles à rappeler. La répétition que nous utilisons si fréquemment en ces cas-là permet justement de consolider notre stockage dans la mémoire à long terme.
Mais au fond, quel intérêt à tout cela ? Dans notre quotidien, l’impact de tels biais existe mais n’est pas des plus significatifs. Nous ne risquons rien à nous contenter des premières sources d’information disponibles. Nous ne risquons pas davantage à simplifier quelque peu le réel pour pouvoir mieux l’appréhender et le comprendre. L’impact n’est pas nul mais reste négligeable, même s’il explique nombre de difficultés dans nos interactions sociales, mais aussi l’essentiel des préjugés et stéréotypes qui créent des tensions qui n’ont pas vraiment lieu d’être.
L’importance des biais cognitifs grandit en revanche avec les domaines où le risque d’une erreur humaine est élevé. En effet, un pilote qui, par biais de confirmation, ne percevra que les informations lui indiquant que tout va pour le mieux dans son avion, ou moins caricaturalement, qui ne voit que les signaux qui confirment ce qu’il pense être l’origine du problème par illusion de savoir, peut amener à un drame.
D’autre part, une personne aura du mal à stocker un ensemble d’informations importants en un temps très court, et cela sera d’autant plus complexe que la fatigue, l’anxiété ou le stress sont grands.
Facteur humain
C’est pourquoi, et par exemple, trop d’alarmes et d’informations en un temps bref vont perdre la personne et l’empêcher de toute action puisqu’elle ne pourra pas avoir une conscience de situation lui permettant une prise de décision raisonnée et raisonnable. L’idéal qui consiste à donner la bonne information au bon moment peut paraître banal et flou, mais c’est bien cette question qui se cache derrière de telles problématiques, au risque d’amener à des erreurs qui auraient pu être évitées.
De la même manière, le conformisme, c’est-à-dire le biais consistant à adhérer à une position que nous ne partageons pas pour correspondre au groupe, peut amener à une situation paradoxale où une personne est consciente du problème mais affirmera le contraire pour se faire accepter du groupe.
Ces deux exemples illustrent à quel point ces questions sont essentielles dans les activités à risque, que ce soit le transport, le nucléaire, l’aérospatial, etc. C’est d’autant plus important qu’en aéronautique, les accidents ayant pour cause une « erreur humaine » (dont l’explication est souvent plus complexe qu’un mauvais bouton appuyé) sont les plus nombreux, bien loin devant ceux ayant pour origine une anomalie technique. Mais l’aéronautique est aussi exemplaire sur le sujet de par l’étude très poussée du « facteur humain », et cela explique en grande partie le niveau de sécurité de l’avion aujourd’hui.
Le scientifique du dimanche
Pour aller plus loin : cet article Wikipédia dresse la liste des biais connus
Illustration : illusion d’optique | DR