Les mondes les plus différents

Paris littéraire : là où tout finit

CHRONIQUE • LE PARIS LITTÉRAIRE Bond dans le temps, bond dans l’espace : sautons par-delà l’enceinte fortifiée de Philippe Auguste et devenons 19ème siècle, devenons 20ème et 21ème. Rassurez-vous, ce ne sera que le temps d’une (dernière) demi-chronique. Par MATHIAS JORDAN

Littérature. Aujourd’hui à Paris, c’est une industrie. Le lieu : Porte de Versailles. La période : mars. Le moment : le salon du livre de Paris. C’est fort simple, un ou deux halls remplis d’étalages de livres, de piles de bouquins, de fausses bibliothèques. Des stands à perte de vue à la place des bovins et des machines agricoles du Salon de l‘agriculture pour faire croire que la littérature est toujours bien portante. Se succèdent une myriade d’auteurs, des séances de dédicace, des annonces au micro. Et l’aspect commercial qu’on tente de cacher sous des monceaux de papier relié et les nouveautés, le trop-plein de stars de la littérature que l’on pense connues, qui publient deux, trois, quatre polars par an. À six mois des grands prix de l’automne, le Paris littéraire se métamorphose dans une foire gigantesque et se montre entre quatre murs de tôle ondulée.

Il y manque chaleur, grandeur, pépites, il y manque une humanité sympathique, un semblant de proximité, une once de discrétion. Des clins d’œil, il y en a pourtant — plus loin à l’Est, à la BnF.

 

Le jardin intérieur de la Bibliothèque nationale de France, siège du dépôt légal. DR

Charmant cadre que celui du « Site François-Mitterrand », rectangle gigantesque surmonté aux quatre coins de livres géants de verre et d’acier, creusé d’un jardin inaccessible planté de cèdres. La Seine aura débordé et manqué de l’inonder plus d’une fois, mais que dire du soleil qui transforme les tours en fours pour manuscrits ? Difficile de reconnaître la beauté du lieu, accordons-lui d’être majestueux, immense, pratique. Accordons-lui d’être moderne et adapté à l’immensité des collections nationales, loin du carré Richelieu étriqué et composé de bâtiments certes sublimes et historiques, mais inadaptés à accueillir une foule toujours plus nombreuse de chercheurs et d’étudiants venus se mettre au chaud.

Et accordons-lui d’avoir lancé le chantier du quartier qui l’entoure — un quartier sans âme fait encore de métal, de briques et de façades excessivement hautes. Seule pointe d’humanité dans ce décor pseudo-new-yorkais où les lofts et studios préfabriqués se vendent comme des petits pains au-dessus de grandes enseignes et de fast-foods le long d’avenues et de rues froides que quadrille un vent glacial en hiver : seule pointe d’humanité donc, que sont les noms des rues baptisées d’auteurs et d’artistes. Étonnant qu’il n’y ait pas eu avant une rue Choderlos de Laclos, ou Jean Anouilh, ou même Jean Giono. Peut-être donnait-il par son nom trop de soleil et trop de cigales à la grisaille parisienne ?

Le clin d’œil à la littérature est à trouver sous terre, un filon de diamants éparpillés tels des pépites de chocolat dans une brioche écœurante. La station « François-Mitterrand » est en effet ponctuée de médaillons de citations, à la manière des pavés dorés qui indiquent le méridien de Paris du nord au sud. La littérature serait-elle notre nouvelle carte pour enfin se retrouver dans les méandres du métro ? Serait-elle notre Carte du Tendre pour humaniser les profondeurs urbaines ? Serait-elle nos nouvelles étoiles qui indiquent la marche à suivre et les sorties, qui nous font nous arrêter un temps dans le flot ?

Elles sont censées montrer « l’universalité de la culture », mais ne créent-elles pas des univers comme autant de points d’ancrage qui guident les pas et posent des références ? Enfin, ne font-elles pas simplement sourire, réfléchir, comme tout décor commun que l’on voit et qu’on oublie mais qu’il est toujours heureux de retrouver ?

 

Une allée du cimetière du Père Lachaise, Paris. DR

Mais comme les étoiles innombrables dans le ciel et la descendance d’Abraham, les éclairs du Paris littéraire sont si nombreux. Il m’est pénible de devoir terminer cette série sans avoir pu brosser tous les aspects, tous les lieux, tous les auteurs et les lecteurs, connus ou anonymes, que compte Paris.

Finissons-en, alors, là où se clôt Le Père Goriot, en haut du Père Lachaise. S’il est un lieu où tout commence et tout finit pour la littérature, c’est bien celui-ci. Une colline boisée, inspiration romantique, allées gothiques, repos éternel digne du Panthéon. Illustres hôtes de ces lieux chargés d’esprit : Apollinaire le trépané, Beaumarchais le moqueur, Musset l’amoureux, Wilde le dandy, Nerval le pendu, Proust le génie, Colette la libre, Eluard le libre, Molière le miroir, La Fontaine le taxidermiste et naturellement, Balzac le bon-vivant.

Balzac qui a écrit Paris, l’a mangé et l’a ri. Balzac qui trône boulevard Raspail, qui loge à Passy, qui rédige les Scènes de la vie parisienne. Et nos yeux de s’attacher presque avidement sur Paris et nous de lancer ces mots grandioses :

« À nous deux maintenant ! »

 

Coucher de soleil sur la Seine. DR

Mathias Jordan 

Parisien, chroniqueur pour Pierre

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