Comment le cerveau apprend-il ? En répétant. Mais aussi en imitant les autres. Preuve que l’être humain est fait pour vivre en société. Par LE SCIENTIFIQUE du DIMANCHE
Vous le savez sans doute, le cerveau est constitué de neurones, de beaucoup de neurones. 100 milliards, ce chiffre pouvant varier selon les sources, le nombre étant évidemment estimé. On estime qu’il existe au moins autant de cellules gliales (des cellules nécessaires au bon fonctionnement de l’ensemble), ce qui fait pas mal de monde dans un si petit espace.
Mais neurones comme cellules gliales sont des termes génériques. Je vais vous parler ici des neurones dits miroirs, un type particulier de neurones utiles notamment, vous allez le comprendre, dans le mimétisme si essentiel à notre apprentissage. Retenez qu’un neurone est connecté à d’autres neurones par les dendrites et reçoit par-là les « messages » des autres neurones, les potentiels d’action, dont il va faire une synthèse. Il retournera en sortie par l’axone son propre message nerveux.
Comme vous le savez sans doute aussi, l’activation des neurones se fait à la suite d’un stimulus. Typiquement, lorsque je parle, j’activerai certains réseaux de neurones. Si maintenant je me mets à jouer au football, j’en activerai d’autres. Bref, l’activation d’un réseau de neurones est corrélée à une action de notre part, et c’est par notre action propre que nous parvenons à renforcer les réseaux de neurones, ce que nous appelons communément « apprendre ». En effet, apprendre à faire du vélo est difficile au départ, mais à force d’entraînements, d’échecs, nous parvenons à automatiser cette connaissance : nos réseaux de neurones se sont formés et renforcés jusqu’à une parfaite maîtrise du guidon.
Empathie naturelle
Ce que nous dit la découverte des neurones miroirs dans les années 1990 bouscule quelque peu ce schéma-là puisque, effectivement, ces neurones sont activés quand nous menons nous-mêmes l’action, mais également lorsque nous observons une autre personne s’attelant à la même tâche. Autrement dit, faire du vélo moi-même active de la même manière mes neurones que le fait de regarder quelqu’un d’autre faire du vélo. Cela peut surprendre : pourquoi l’action de faire du vélo serait la même que celle de regarder quelqu’un faire du vélo ? D’un côté nous avons un effort physique, de l’autre un acte de visualisation (ou d’écoute, car l’écoute fonctionne également).
Quel intérêt d’une pareille chose ? La raison découle presque d’elle-même : comparer. En effet, l’apprentissage est fortement imprégné de mimétisme, c’est-à-dire de la capacité à « copier » le geste d’un autre. Ce que ces neurones miroirs nous apprennent, c’est qu’il existe des neurones capables de comparer nos propres gestes avec ceux d’autrui. Cela permet donc de stimuler les réseaux d’un geste sans effectuer ce geste, et donc de le renforcer.
Une condition est toutefois nécessaire : il faut connaître ce geste. Si je n’ai jamais joué de clarinette, j’aurai beau regarder un musicien jouant de la clarinette, je n’activerai jamais des réseaux neuronaux similaires puisque jamais je n’ai appris à stimuler des réseaux neuronaux me permettant d’en jouer. Cela souligne l’importance de faire l’action, le geste, et l’insuffisance même de la simple observation pour apprendre. Ce constat est renforcé par le fait que l’activation du réseau de neurones est d’autant plus forte si la personne simule le geste tout en le regardant.
Apprendre de l’autre
Mais plus encore qu’imiter, ces neurones seraient utiles à la compréhension de l’action faite par autrui : voyant l’autre saisir son guidon, et sachant faire du vélo, j’active les mêmes neurones que lui et comprends dès lors quelle est son intention. Devoir activer similairement mes neurones peut sembler surprenant mais peut se justifier par le fait qu’une simple observation ne suffit pas à comprendre la finalité. L’exemple est imagé mais permet de saisir la nuance : si je n’ai jamais fait de courses au supermarché avec un caddie, je ne comprendrai pas quel est le but de la personne si je l’observe pousser un caddie. Il faut connaître soi-même la finalité pour pouvoir la déduire chez quelqu’un d’autre.
Ainsi, nos neurones miroirs nous permettraient, ou en tous les cas y participeraient, de comprendre comment mieux faire un geste, mais aussi pourquoi cet « autre » fait ce geste. Sans forcément trouver les mêmes rôles chez les animaux, ils existent aussi chez d’autres espèces, notamment les singes puisqu’ils ont été initialement découverts chez eux. Mais il ne s’agira pas de réduire la compréhension de l’intention de l’autre ou l’apprentissage d’un geste à ces seuls neurones, le cerveau étant une machinerie complexe, bien assez encore pour receler nombres de secrets qu’il reste à élucider.
Pour remettre en perspective le rôle de cette découverte, les neurones miroirs permettraient de nous mettre en relation avec autrui par compréhension de l’autre, et d’apprendre d’autrui par imitation. Implicitement, ils ont donc un rôle dans l’empathie que nous pouvons avoir pour quelqu’un, dans un contexte où nous savions déjà que les émotions étaient essentielles à l’apprentissage.
Sans pouvoir affirmer qu’ils sont essentiels à la transmission du savoir entre pairs puisqu’il faudrait démontrer qu’un être sans neurone miroir serait incapable d’apprendre de quelqu’un, ils ont sans le moindre doute un rôle crucial dans toutes nos interactions sociales.
Le scientifique du dimanche
Bonnes sources :
Illustration : Réseau de neurones, vue d’artiste | Libre de droits