L’intelligence artificielle va certainement bouleverser nos vies dans les décennies à venir. Restera-t-il une place pour l’humain dans tout cela ? On peut l’espérer. Par LE SCIENTIFIQUE du DIMANCHE
Mais avant toute chose, de quoi parlons-nous ? Au milieu du siècle passé naissait l’informatique portée par l’idée de programme. Le mathématicien Alan Turing n’est pas étranger à la question de savoir si une machine, par exemple du type de sa « machine de Turing », est en mesure de faire ce que tout humain fait : penser, faire preuve d’intelligence. Le célèbre test de Turing est d’ailleurs une expérience censée démontrer ou réfuter qu’une machine est capable d’intelligence.
En effet, vous n’êtes pas sans ignorer que l’ordinateur que vous maniez tous les jours, et par extension tous les instruments électroniques aujourd’hui, n’ont rien d’objets intelligents. Votre ordinateur, jusqu’à preuve du contraire, n’en est pas doué puisqu’il ne sait « que » faire d’énormes calculs et traiter une gigantesque quantité d’informations. Il saura éventuellement apprendre, mais seulement si vous lui dictez entièrement et précisément comment.
C’est ici qu’intervient l’intelligence artificielle pour développer des méthodes, des théories, permettant à une machine d’apprendre, de comprendre et de s’adapter. Bref, être en mesure de faire ce que nous semblons faire quasi naturellement. Mais plutôt que de partir sur des considérations théoriques, prenons du concret. En 1997, « Deep Blue » bat Garry Kasparov, un des plus grands champions d’échecs : ce sera la première victoire célèbre d’un ordinateur sur un humain dans un jeu nécessitant davantage qu’une grosse puissance de calculs pour trouver la meilleure solution.
Diagnostic médical
Depuis cet événement, de récentes réussites médiatisées s’ajoutent au tableau : le jeu de go en 2016 et le poker cette année, en 2017. Cela peut sembler anodin mais il ne l’est pas dans ce domaine où, jusqu’à récemment, gagner au jeu de go était considéré comme un graal à atteindre. En effet, les combinaisons de jeu de par le plateau étaient trop nombreuses pour être comprises uniquement par une puissance de calculs énormes. Autrement dit, sans capacité d’apprentissage, il n’était pas possible de parvenir à trouver une solution par le simple test de toutes les solutions possibles de façon à trouver la meilleure. Google, à travers le programme « AlphaGo », y est parvenu. Cette année, c’est au poker, un jeu qui fait appel à une part de hasard, d’intuition, que la machine parvient à gagner contre des humains. Mais si ces faits-là exaltent les passionnés, d’autres pourront se dire « oui, et alors ? ».
Et alors ? Alors tout ceci s’inscrit dans une dynamique. Cette dynamique fût portée dans les médias par le sujet, voilà quelques temps, de la « voiture autonome », ce véhicule capable de se déplacer sur les voies routières sans intervention humaine dans sa forme idéale et la plus avancée. Le problème est que la conduite automobile se déroule dans un environnement très complexe, en particulier en ville. Trop complexe, pour l’heure. Il n’empêche, conduire suppose de pouvoir comprendre une situation, de pouvoir apprendre pour mieux appréhender les suivantes, de façon à toujours mieux gérer les situations nouvelles. L’intelligence artificielle risque donc d’y jouer un rôle.
D’autres résultats sont, eux, déjà effectifs : Watson, d’IBM, est la star du domaine. Celui-là même, en effet, qui avait gagné à un jeu équivalent de notre « Question pour un champion » aux Etats-Unis. Depuis, ce programme, qui ne cesse d’évoluer et d’être adapté selon le besoin, a par exemple permis de créer un logiciel capable de déterminer, selon les symptômes, quel est le cancer le plus probable du patient, permettant ainsi d’établir des diagnostics qui se sont révélés exacts.
Superintelligence
Ces deux exemples montrent bien, d’une part, la montée en puissance des acteurs de l’intelligence artificielle et de leurs performances ; d’autre part, la grande spécificité de chacun de ces programmes pour une tâche bien précise, même si les tâches sont multiples. En effet, ces programmes sont aujourd’hui indéniablement capables d’apprendre, mais pas n’importe comment et n’importe quoi. Ils sont donc, pour l’heure, ultraspécialisés. Il est certain cependant qu’un jour viendra où des programmes sauront démultiplier leurs activités comme nous-mêmes.
Ce jour-là, les futurologues le pensent prochain. Ray Kurzweil, le pape de l’intelligence artificielle, nous explique dans ses livres que la singularité technologique (ou « superintelligence ») est à attendre pour les décennies 2040-2050. Cet horizon théorique ne manque pas de faire réagir épisodiquement, quelques grands scientifiques ou milliardaires s’en alarmant quand d’autres y investissent massivement. Il est à noter que Ray Kurzweil travaille actuellement pour Google et a notamment créé une école censée former les futurs esprits à ce tournant pour l’humanité. Les histoires ne manquent pas de rappeler à quel point une intelligence-machine pourrait se retourner contre son propre créateur.
Est-ce que ces craintes sont fondées ? Difficile à dire. Elles ont néanmoins pour intérêt de poser la question, trop souvent effacée, de la responsabilité du chercheur et de la science. Mais il est difficile aussi d’occulter les gains que nous pourrons en tirer : l’informatique, couplée avec l’intelligence artificielle, a une puissance de traitement de données qu’un cerveau humain n’aura jamais. C’est pour cette raison que Watson parvient à poser un diagnostic qui semble correct plus rapidement qu’aucun humain dont la mémoire est bien plus faillible malgré ses immenses capacités de mémoire et de corrélation. Le problème, cependant, est que cette puissance est encore trop spécifiquement utilisable. Watson ne pourra en aucun cas poser un diagnostic, en l’état, pour autre chose qu’un cancer.
Un programme informatique capable de créer d’autres programmes
Les domaines où l’intelligence artificielle va repousser nos limites sont nombreux. Le spatial en aura nécessairement besoin pour mener l’exploration de surface de certaines planètes ou lunes du système solaire. Que ce soit Titan ou Europe, compte-tenu de la distance, les véhicules doivent pouvoir se déplacer d’eux-mêmes. En effet, le but étant d’explorer les océans qui s’y trouvent, il faudra un véhicule capable d’évoluer dans un environnement parfaitement inconnu, là où la surface terrestre peut être appréhendée par des sondes au préalable. Elle apparaît ici comme parfaitement nécessaire pour pouvoir évoluer dans un environnement inconnu, de façon à réduire au maximum les erreurs et problèmes. Cette problématique est du même ordre qu’une problématique aujourd’hui récurrente en robotique et qui consiste à trouver un moyen de permettre à un robot de se déplacer dans un espace, composé de dangers et obstacles, qui lui est inconnu.
La programmation informatique, elle aussi, risquera d’évoluer puisqu’un programme capable de créer un programme ne sera sans doute plus un souci. Dans le même ordre d’idée, l’écriture journalistique a déjà ses programmes capables d’écrire des articles entiers. Enfin, les systèmes en tous genres sont voués à se complexifier et échapperont à la compréhension humaine : une intelligence artificielle, elle, pourrait très bien y naviguer. Le web est déjà parcouru par des « robots » qui scannent tous les sites Internet et nous permettent de trouver instantanément ce que nous cherchons.
Où est-ce que l’humain aura alors sa place ? Il est peu probable que toutes les activités en lien avec l’intuition ou la création purement artistique souffrent de ces avancées Le « beau » est une notion complexe qui n’est pas sans lien avec le créateur de l’œuvre lui-même ; et nous avons aujourd’hui tendance à l’associer à ce qui est humain. D’autre part, dès lors qu’il s’agira d’innover ou créer (recherche, ingénierie), d’agir humainement (le social, l’humanitaire, ou simplement le fait de prendre contact et questionner dans le journalisme), l’humain aura toute sa place. En effet, tout comme les possibles, l’activité sera très probablement couplée à des éléments comportant de l’intelligence artificielle, mais l’humain sera encore nécessaire et ne pourra être remplacé.
Finalement, je crois que, comme tous les progrès, l’intelligence artificielle changera radicalement nos existences et sera largement combattu pour ses méfaits qui seront sans doute réels au premier regard. Mais nous finirons toujours par l’accepter et y adhérer.
Le scientifique du dimanche
Illustration : Jeu d’échec. | Libre de droits