Pourquoi démontrer qu’on a raison lorsqu’il suffit d’en avoir l’air ? Alors les paroles précises ont fait place à la fausseté, sacrifiant le débat au bruit du message. Par RAPHAËL GEORGY

L’historien des idées italien Eugenio Garin décrivait l’éducation humaniste de la Renaissance ainsi : « Dans la confrontation avec des paroles précises et non pas fausses et banales, l’esprit est pratiquement obligé de se retrouver lui-même, de prendre position, de prononcer à son tour des mots adéquats et précis. » Des paroles fausses et banales, le téléspectateur y a eu droit à saturation lors du débat d’entre-deux-tours.

« Vous n’avez pas de projet », « Je suis la candidate du peuple, de la France telle que nous l’aimons », « vous êtes indigne », « protéger face à la montée du fondamentalisme islamiste », « L’esprit que vous portez, c’est l’esprit de défaite ». Pas vraiment de quoi élever nos esprits.

C’est comme si les deux candidats avaient lu attentivement « L’Art d’avoir toujours raison » du philosophe Arthur Schopenhauer au XIX^ème siècle, qui part du principe que du point de vue du spectateur, il suffit de paraître avoir raison pour avoir raison. Ce livre très court contient donc 42 stratagèmes rhétoriques tous plus malins les uns que les autres. « Fâcher l’adversaire », « Clamer victoire malgré la défaite », « Soyez personnel, insultant, malpoli », « Je ne comprends rien de ce que vous me dites » (particulièrement vicieux).

Que le lecteur me permette de les renvoyer dos à dos sans que cela vaille position de ni-ni. Car qu’est-ce qu’une action moralement acceptable ? On pourrait dire comme Emmanuel Kant que c’est celle qui serait bonne si tout le monde agissait de même. S’abstenir en espérant que les autres n’agissent pas de même n’en est donc pas une.

Raphaël Georgy