Les mondes les plus différents

Emmanuel Macron : « le courage de la nuance »

Les nuances de l’ancien ministre de l’Économie sont la marque d’un constat sérieux et réaliste. Ce qui ne l’empêche pas de tenir des positions clivantes sur des sujets majeurs. Par VINCENT SEZNEC

«En même temps ». Très rapidement dans cette campagne, Macron a été critiqué pour être le candidat du « en même temps » (expression souvent utilisée par l’ancien ministre de l’Economie pour introduire une nuance dans son discours). Comprendre par là : un candidat portant un message sans aucun contenu programmatique et naviguant à vue pour s’ouvrir l’espace politique le plus vaste possible. Pour différentes raisons, ces critiques sont bien souvent injustifiées. On le dit peu, mais Macron fait une campagne risquée, avec des prises de position tranchées et clivantes sur des sujets devenus structurants au sein de l’électorat.

Macron est le seul candidat à défendre réellement l’Union Européenne aujourd’hui et à proposer une intégration croissante de ses États-membres. D’un point de vue économique et monétaire notamment, l’Europe échoue principalement puisqu’elle est au milieu du gué. Faute d’une meilleure intégration fiscale et sociale, la monnaie commune empêche la convergence des économies. Macron pense à juste titre que la solution n’est pas pour autant de reculer, mais d’avancer, pour rejoindre l’autre rive du gué.

L’Europe doit aussi être le cadre essentiel et principal d’une politique de relance, via une montée en charge du plan Juncker : une relance uniquement nationale risquerait de subir les effets d’éviction que l’on a connus en 1981 sous François Mitterrand. Depuis Maastricht, et plus encore depuis le référendum constitutionnel européen, force est de constater que cette position européiste est devenue difficile à assumer électoralement.

La nuance réaliste

Même prise de position claire sur la mondialisation. Macron est le seul, parmi les candidats, à expliquer que le libre-échange a aussi des vertus, et que le protectionnisme n’a aucun sens dans une économie qui crée de la valeur « en chaîne ». Taxer les importations, c’est en réalité pénaliser nos industries, qui utilisent des intrants étrangers pour produire français… De toute manière, l’échelle de protection appropriée n’est certainement pas la France, mais l’Europe, on a pu le voir encore récemment avec les bras de fer entre la Commission Européenne et les géants des industries américaine et chinoise. Cela aussi Macron l’assume et l’exprime clairement, jugeant par exemple l’échelle européenne comme étant la plus appropriée pour faire émerger des “champions du numérique” face aux fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).

Il faut aussi dire que le « en même temps » de Macron est la marque d’une vraie prise avec les enjeux. Une des constantes de sa campagne aura été de refuser les simplismes, en prenant le risque de la nuance, dans un débat marqué en premier lieu par le manque de justesse ou l’irréalisme de certains propos. On peut prendre un exemple révélateur à cet égard : la politique énergétique. Macron est le seul à assumer l’idée d’un mix énergétique équilibré (50-50 nucléaire/renouvelable dans la production électrique) : il récuse ainsi le tout nucléaire porté par Fillon, ou le tout renouvelable de Hamon et Mélenchon. Macron n’ignore pas les difficultés qui pèsent sur la filière nucléaire (augmentation des coûts, notamment depuis Fukushima ; incidents sur les centrales et arrêts de certaines d’entre elles…).

Gouverner, c’est concilier

Mais, de l’autre, il sait pertinemment qu’un modèle 100 % renouvelable est très difficilement réalisable dans l’état actuel des choses (problème posé par l’intermittence de la production renouvelable, pas de stockage de l’énergie possible ; explosion de la facture des ménages ou encore possible basculement vers le charbon, comme en Allemagne…). Entre sécurité de la production, coût de l’énergie, et impact environnemental, la politique énergétique est souvent marquée par des objectifs divergents qui doivent être conciliés. Gouverner, c’est être capable de concilier différents principes parfois opposés. Parmi les candidats à la présidentielle, c’est Macron qui semble le plus à même de le faire.

L’idée de Macron est simple : la France doit encore avoir l’ambition d’être un pays qui compte dans le monde. Pour cela, elle doit se résoudre à un principe de réalité : elle doit faire le choix de l’Europe, et se redresser économiquement. Cela suppose d’accepter en partie le jeu de la mondialisation, en libéralisant progressivement notre économie, et prendre au sérieux la dette, épée de Damoclès qui pèse au-dessus de nos têtes.

Ceci dit, cet effort ne se suffit pas à lui-même. Les Britanniques, puis les Américains, ont envoyé un message fort par leurs votes historiques. Dans ces pays, on a libéralisé sans se soucier des plus fragiles. On a laissé se creuser une fracture sociale irréversible entre gagnants de la mondialisation et perdants de la mondialisation. Macron, à l’inverse de Fillon, l’a compris : une libéralisation de l’économie doit s’accompagner de protections nouvelles sous peine de bouleversements politiques et sociaux dramatiques.

Fractures françaises

Le modèle que porte Macron veut concilier ces deux principes, et s’inspire en réalité de la « flexisécurité » scandinave. Libéraliser le code du Travail et l’économie pour remédier au chômage de masse et de longue durée ; mais offrir en contrepartie des formations, parfois très longue (jusqu’à trois ans), pour permettre aux individus de s’adapter au rythme du changement technologique et sectoriel.

Soigner les fractures françaises entre gagnants et perdants de la mondialisation doit aussi s’inscrire dans une stratégie territoriale : création d’emplois francs en banlieue, suppression de la taxe d’habitation — impôt injuste du fait de son hétérogénéité — pour la majorité des Français. Chirac avait fait en son temps le constat de cette fracture française, elle s’est depuis amplifiée. Macron semble aujourd’hui le mieux placé pour tenter de la résorber, tout en plaçant la France dans la marche du monde, dans une Europe forte et protectrice.

Vincent Seznec

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