LA PIERRE D’UN LIBÉRAL — Le président des États-Unis et la chancelière allemande, qui vient d’être réélue, incarnent deux archétypes « de droite » que tout oppose. La droite française, qui vient d’essuyer de cuisantes défaites, va être écartelée pour les prochaines années entre deux options : s’inspirer de la « droite Merkel » ou bien de la « droite Trump ». Par ROMAIN MILLARD
Bien qu’il soit très hasardeux de comparer des situations politiques aussi différentes que celles de la France, de l’Allemagne et des États-Unis, il est possible de se concentrer sur quelques éléments qui dépassent les différences nationales. La droite dirigée par Angela Merkel et celle qui soutient Donald Trump sont aux antipodes dans leur relation au gouvernement, aux médias, à l’économie et aux questions de société. Ces clivages sont les mêmes que ceux qui lézardent la droite française.
Droite Merkel contre droite Trump : éthique de responsabilité contre éthique de conviction
Depuis douze ans, la pratique du pouvoir d’Angela Merkel se caractérise par ce que le sociologue allemand Max Weber appelait « l’éthique de la responsabilité » (Verantwortungsethisch), qui consiste à ajuster ses objectifs politiques aux moyens à sa disposition. À l’inverse, la droite de Trump obéit davantage à « l’éthique de conviction » (Gesinnungsethisch) selon laquelle la pureté de la doctrine et des principes prime sur les conséquences fâcheuses que leur application pourrait entraîner.
Donald Trump lors d’un meeting de campagne en Arizona, en octobre 2016. Gage Skidmore/CC
L’éthique de responsabilité suppose de privilégier le pragmatisme à l’idéologie, quitte à prendre le risque de se voir accusé d’incohérence, d’opportunisme et de manquer de vision. Dans cette logique, Merkel n’a pas hésité à changer brusquement de cap sur certains sujets afin de rester le plus en phase possible avec la société allemande et accessoirement conserver son leadership. Elle a par exemple permis le vote rapide de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe en juin 2017. Authentique évolution de son opinion ou tactique pour couper l’herbe sous le pied de son concurrent social-démocrate ? Certainement les deux. Au contraire, Trump ne se soucie guère d’être en phase avec la majorité de la société américaine et n’hésite pas, au nom de la lutte contre le « politiquement correct », à tenir des propos et prendre des décisions préjudiciables aux droits des femmes ou à ceux des minorités.
La droite Merkel a conscience que son éthique de responsabilité ne la rend pas très télégénique et enthousiasmante, contrairement au sulfureux Donald Trump. Par conséquent, elle joue davantage les cartes de l’austérité rassurante et de l’expertise sérieuse plutôt que celles du charisme tapageur et des « fake news ». Une attitude qui peut être gagnante lorsque les électeurs jugent que les politiques publiques sont efficaces, mais qui peut être ressentie dans le cas contraire comme de l’élitisme technocratique.
Sur les sujets économiques, au risque d’être trop schématique, on peut dire que la droite Merkel parie sur le libre-échange dans le but de permettre aux entreprises allemandes de créer de l’emploi en conquérant des parts de marché à l’export, grâce à une innovation stimulée par la forte concurrence. À l’inverse, la droite Trump considère que la sauvegarde des emplois passe principalement par un fort protectionnisme et la préservation d’industries traditionnelles, comme le charbon.
Angela Merkel au soir de la victoire de son parti aux élections fédérales, dimanche 24 septembre. GETTY
Les sujets de société liés aux mœurs et aux religions embarrassent les leaders de la droite Merkel, qui craignent de rouvrir de vieilles blessures historiques et d’être ensuite dépassés par les tensions identitaires. Ils promeuvent globalement une approche dépassionnée visant à réguler les évolutions plutôt qu’à les endiguer. À l’opposé, la droite Trump est angoissée par l’insécurité culturelle, le déclin des repères traditionnels et réagit avec vigueur contre tout ce qu’elle identifie comme une forme de compromission et de disparition de ses modes de vie au profit des nouveaux arrivants.
Pour la droite française, quel chemin suivre ?
Cette comparaison excessivement schématique de ces deux droites idéal-typiques vise à illustrer les grandes perspectives qui s’ouvrent à la droite française. Va-t-elle suivre une voie « à la Merkel » pour tenter de reconquérir la confiance d’une majorité d’électeurs dont certains ont pu se laisser tenter par Emmanuel Macron, ou au contraire se « trumpiser » pour jouer le contraste avec le Président de la République et récupérer les déçus du lepénisme ? Peut-elle encore jouer sur les deux tableaux sans exploser ?
L’issue de ce dilemme dépendra certes en partie des leaders nationaux qu’elle se choisira, mais surtout des résultats de la présidence Macron, de l’évolution de la ligne du Front National, sans oublier les performances que réaliseront aux élections locales de 2020 et 2021 les majorités actuelles de droite et du centre qui rassemblent toujours du Modem à Sens Commun.
Romain Millard
Juriste, élu municipal à Villebon-sur-Yvette (Essonne),
membre de Les Républicains