Sortie de l’euro, retraite, salaires : l’économie est au centre des programmes des candidats. Mais le succès de ces mesures dépend souvent d’autres facteurs. Explications. Par GUILLAUME KREMER
Je ne vais pas chercher ici à évaluer leurs programmes économiques. Je vais plutôt essayer de les caractériser et de les resituer dans les débats économiques auxquels ils renvoient. Il s’agit donc d’un article fondamentalement économique, bien que les mesures proposées par les candidats puissent avoir des répercussions sociales, sociétales et politiques qui ne doivent pas être négligées.
Emmanuel Macron
Emmanuel Macron veut utiliser la reprise attendue de la croissance pour améliorer, modérément, la situation financière des entreprises, des ménages et dans une moindre mesure de l’État.
Ce programme cherche à concilier à la fois des mesures d’offre (baisse de l’impôt sur les sociétés et de la fiscalité du capital, hausse de l’investissement public ciblé, …) et des mesures de demande (baisse de la taxe d’habitation, exonération des heures supplémentaires, revalorisation de la prime d’activité, …). Il repose également sur des réformes structurelles comme la transformation du régime des retraites actuel en régime à points. Ces mesures s’accompagneraient d’une forte réduction de la dépense publique au risque de dégrader le pouvoir d’achat, et d’annuler les effets positifs d’une baisse de la fiscalité sur les ménages.
L’idée est de soutenir la croissance de court terme via une politique de demande et préparer une croissance de moyen et long terme par une politique d’offre. Pour de réels effets, les deux doivent être ambitieuses mais risqueraient de créer de la dette publique. C’est pour cela qu’Emmanuel Macron préfère miser sur une reprise de la croissance. Le succès de son programme dépend donc essentiellement de la conjoncture. Or, celle-ci est assez incertaine avec la remontée attendue des taux directeurs de la banque centrale et la situation préoccupante des pays d’Europe du Sud, notamment de l’Italie.
Marine Le Pen
Le programme économique de Marine Le Pen repose sur une sortie de la zone euro. Cela permettrait de retrouver une autonomie en termes de politiques monétaire et budgétaire, de dévaluer notre monnaie et de limiter l’ouverture commerciale du pays afin de restaurer sa balance.
Ces mesures partent du principe que la France n’est plus maîtresse de sa politique économique. En adhérant à l’Union européenne et la zone euro, et en ayant signé les traités associés, le pays s’est engagé à limiter ses dépenses et s’est placé sous la direction de la Banque Centrale Européenne (BCE) pour gérer sa politique monétaire. Il n’a donc plus de maîtrise sur ses taux d’intérêt, sur ses taux de change ou encore sur ses tarifs douaniers, ce qui lui laisse relativement peu de marges de manœuvre en termes de politique économique.
La pertinence d’un tel programme dépend du degré d’autonomie réel de la France. En principe, elle ne maîtrise plus la quasi-totalité de ses instruments de politique économique. Mais de facto, qu’en est-il ? Pendant très longtemps, la BCE a pris des mesures allant plutôt dans le sens de l’Allemagne (euro fort, taux élevés, etc…). Aujourd’hui, elle mène politique accommodante reposant sur des taux faibles et un euro en légère baisse. Il n’est pas certain que la Banque de France s’y prenne autrement en cas de sorte de la zone euro.
Concernant la politique commerciale, la dévaluation a toujours été un outil privilégié pour regagner en compétitivité. Mais le succès d’une telle mesure dépend de ce que font nos partenaires commerciaux. Si la sortie de la France de l’Union européenne conduisait à l’implosion de la zone euro, les pays d’Europe du Sud dévalueraient très probablement leur monnaie, annulant nos gains relatifs en termes de compétitivité et faisant courir le risque d’une guerre commerciale. Ainsi, le succès d’un tel programme dépend de la future orientation prise par la BCE et du bon vouloir de nos voisins.
François Fillon
Le programme de François Fillon s’appuie sur la baisse de la fiscalité des entreprises et de celle du capital, financées par une hausse de la TVA et une réduction des dépenses publiques, couplées à une augmentation de l’âge de départ à la retraite et une suppression des 35 heures.
Ces mesures s’inscrivent clairement dans une logique de politique d’offre : une vision selon laquelle les entreprises souffriraient de capacités productives insuffisantes, la consommation des ménages étant déjà suffisamment importante. Elles ne demanderaient qu’à embaucher et à investir plus mais manqueraient de marges et de visibilité à long terme pour se faire. Alléger leur fiscalité résoudrait ce problème et stimulerait des moteurs de croissance durables, bénéfiques à moyen et long terme grâce à des prix plus compétitifs, un marché du travail flexible où les entreprises peuvent facilement licencier et recruter, et une hausse du nombre de travailleurs en emploi.
La pertinence d’un tel programme dépend donc des besoins réels des entreprises. Si elles font face à des problèmes d’offre (compétitivité faible, trop d’impôts…), il s’agit d’une très bonne solution, garantissant une croissance stable et satisfaisante sur le long terme. Si au lieu de cela, elles font plutôt face à des problèmes de demande (consommation insuffisante à cause de salaires trop bas, investissement trop faible), un tel programme n’aurait que peu d’effets positifs et risquerait de prolonger la récession à court terme.
Jean-Luc Mélenchon
Enfin Jean-Luc Mélenchon opte pour une forte taxation du capital et des hauts revenus ainsi que pour une hausse de l’endettement public afin de financer l’augmentation des dépenses à destination des ménages les plus modestes. Cela se traduirait entre autres par une augmentation du salaire minimum à hauteur de 1 700 €. Il s’agit d’une importante relance budgétaire. Celle-ci viserait à soutenir la demande (consommation, investissement) en augmentant les bas revenus, et en stimulant l’investissement public.
Ce pari d’une très forte relance pour dynamiser l’économie et réduire les inégalités pourrait creuser la dette française dans le cas où les multiplicateurs budgétaires auraient été surestimés.
Qu’est-ce que le multiplicateur budgétaire ?
Le multiplicateur budgétaire permet de mesurer l’efficacité d’une dépense publique. Quand un État décide de s’endetter en injectant de l’argent dans l’économie, que ce soit sous forme d’investissement ou de versements directs aux ménages ou aux entreprises, il s’attend à recevoir des gains supérieurs aux dépenses. En effet, cet argent est utilisé par les agents économiques pour dépenser, embaucher, investir, etc. Toutes ces actions donnent lieu à des taxes, faisant que l’État va récupérer une grande partie de cette somme.
Mais qui plus est, cet argent aura permis de stimuler l’activité économique, en sortant des individus du chômage par exemple. Ces individus paieront alors des impôts, engendrant des gains supplémentaires pour l’État. Au final, celui-ci aura récupéré une somme supérieure à celle qu’il a dépensée. Si pour un milliard injecté, il en récupère un milliard et demi, on dira que le multiplicateur est de 1,5. En France, celui-ci serait compris entre 1,3 et 1,8 selon les estimations de l’OFCE.
Le succès d’un tel programme dépendrait fortement des mesures prises au même moment par nos voisins. Une politique de relance coordonnée avec ceux-ci pourrait être efficace. Dans le cas contraire, les effets seraient limités dans la mesure où une partie non négligeable des fonds injectés par l’État risqueraient de ne pas bénéficier à l’économie française, utilisée par les ménages pour acheter des biens importés ou pour investir à l’étranger. Ceci affaiblirait le niveau du multiplicateur et diminuerait donc les possibles retombées d’une telle relance.
Aucun de ces quatre programmes ne peut donc garantir de manière certaine un retour de la croissance, une baisse du chômage, un assainissement des finances publiques et une baisse des inégalités. Tous reposent sur des scénarios hypothétiques, chose qui n’est pas assez mise en avant par les différents candidats et que les électeurs devraient garder à l’esprit au moment de voter.
Guillaume Kremer
Pour aller plus loin : la note de l’Office Français des Conjonctures Économiques (OFCE) sur l’évaluation des programmes économiques des candidats.