À Paris plus qu’ailleurs, le ciel est précieux. Il est une échappatoire. Mais il est désormais menacé dans sa beauté. Par MATHIAS JORDAN
Au firmament de la haute couture, le journaliste Patrick Hourcade déclarait en 1973 : « Si Yves Saint-Laurent, c’est la tour d’ivoire, alors Karl Lagerfeld, c’est la tour de Babel ! » Une fois de plus lors de la dernière fashion-week, Karl Lagerfeld nous l’a prouvé. À vouloir atteindre l’Olympe, il a réussi à percer les nuages en installant sous la nef du Grand Palais avec pour décor de son défilé Chanel une Tour Eiffel dont le sommet était perdu dans la brume. Les photos ont fait le tour du monde et sont venues allonger la liste des décors impressionnants qu’il invente chaque saison. Que dire sinon qu’il a réussi à recréer la magie du ciel de Paris sous une verrière ?
Ce ciel sous lequel nous vivons change. Ici plus qu’ailleurs, il nous est précieux : pour tous ceux qui ne le voient pas entre les immeubles, qui travaillent dans des bureaux aseptisés et sans lumière naturelle, tous ceux qui ne voient dans ce ciel qu’un amas gris et pluvieux de moutons poussiéreux, le ciel de Paris est bien plus. Il est une échappatoire, un rêve.
Pourquoi sinon construire des Tour Eiffel, la vraie au Champ de Mars, la fausse au Grand Palais ? Pourquoi imaginer toujours dans cette nef de verre et de métal une fusée qui décolle à grand renforts de fumigènes ? Pourquoi lève-t-on la tête pour regarder le vol des hirondelles ou d’où vient le cri des mouettes quand on se promène le long du Bassin de l’Arsenal ? Et pourquoi y’a-t-il un billet tarif réduit dans le Pass Jeunes de la Ville de Paris pour le Ballon du parc André-Citroën ? Parce que le ciel nous attire.
A défaut d’y monter, de vous prendre pour un touriste à la Tour Eiffel (troisième mention), à la Tour Montparnasse ou d’être toiturophile, réfugiez-vous dans les églises. Là aussi, le ciel est proche pour qui croit. Le ciel parfois vous tombe sur la tête également. La paroisse Saint-Germain-des-Prés propose de parrainer une des étoiles qui constellent la voute pour payer la restauration. Touchez donc les étoiles du doigt, à défaut de les voir, faute à la pollution lumineuse et atmosphérique.
« Un ciel si corrosif ne devrait pas être celui de la plus belle ville du monde »
Le ciel de Paris est en danger. Non pas que les avions du 14 juillet qui le traverse en bleu-blanc-rouge ne fasse plus trembler que les immeubles en-dessous qui sont sur leur trajectoire. Il est menacé dans sa beauté et sa pureté lorsque la Dame de fer se retrouve cachée derrière un brouillard jaune. Alléchant. Inquiétant. Un ciel si corrosif ne devrait pas être celui de la plus belle ville du monde… Comme la dernière exposition du musée d’Orsay (non pas celle sur les portraits de Cézanne qui est remarquable) sur le mysticisme dans l’art. Passées les cathédrales de Monet et les nuits électriques de Van Gogh, les salles ont déroulé une série inintéressante de croûtes qui devaient apparemment évoquer de par leur relation à la nature et à l’espace vide le mysticisme et cet appel du Ciel. La prise de substances illicites dans un bar de Pigalle aurait eu le même effet. Le flot de lumières rosées ou bleu layette, de verts pistache et de figures sombres tournant le dos au spectateur face à un infini désespérément vide où l’on rencontre davantage l’ennui pictural que l’Être.
Pour aller voir le ciel, visitez plutôt le musée de l’Air et de l’Espace au Bourget. Outre le splendide aérogare art déco, pour qui aime regarder des avions : le lieu est magique. Entre une fusée Ariane sur le tarmac, un puzzle de bois et de tissu Blériot, un Concorde et une irrésistible envie de croire que Saint-Exupéry est allé rejoindre le Petit Prince plutôt qu’il n’ait rendu visite à Neptune, le Bourget est à voir.
Pour aller voir les étoiles, il vous reste les stars mises au frais du musée Grévin, ou celles qui brillent du musée de la Légion d’honneur. Un déploiement indécent de décorations, de médailles, de tiroirs remplis de superbes objets honorifiques et brillants. Mais elles ne sont qu’éphémères, humaines, comme les étoiles en diamant de Chanel, comme celles de Noël rue Saint-Honoré (en juillet, il pense déjà à décembre…). On les voit passer, une saison, un défilé.
Celles qui restent sont dans les yeux. Paris, ville lumière, qui émerveille. Oui, ceci est une déclaration d’amour en bonne et due forme.
Mathias Jordan
Parisien
Illustration : Paris le nuit. | DR