Que valent les mesures d’Emmanuel Macron contre le chômage ? Si les effets bénéfiques sur l’emploi sont minimes, les risques pour les salariés, eux, sont non négligeables. Par GUILLAUME KREMER
« Aucun pays, peu importe sa richesse, ne peut se permettre de gâcher ses ressources humaines. L’abattement causé par le chômage de masse est notre plus grande folie. Moralement, il s’agit de la plus grande menace pour notre ordre social » (Franklin D. Roosevelt, le 30 septembre 1934)
Le verdict est tombé : le chômage est reparti à la hausse pour le mois de mai. Le gouvernement se voit donc contraint d’accélérer son projet de réforme du droit du travail. Le projet de loi autorisant l’exécutif à recourir aux ordonnances a été présenté mercredi 28 en Conseil des ministres et le Parlement devra l’examiner du 24 au 28 juillet.
Bien évidemment, il est essentiel de lutter contre cette « grande folie » dont parlait Roosevelt en 1934, en pleine Grande Dépression. Toutefois, il est nécessaire de s’interroger sur l’efficacité et la pertinence des moyens que le nouveau gouvernement compte déployer pour lutter contre ce problème.
Afin d’en juger, il est nécessaire d’emprunter un détour par la théorie économique. Celle-ci souligne l’existence de deux types de chômage qui peuvent coexister : un chômage conjoncturel et un chômage structurel.
Chômage conjoncturel ou structurel ?
Le chômage conjoncturel est provoqué par un ralentissement de l’activité économique. Afin d’adapter leur production à la baisse de l’activité, les entreprises licencient une partie de cette main d’œuvre. À l’inverse, celui-ci se résorbe avec la reprise de l’activité. Lorsqu’il y a une croissance suffisamment forte, la production repart, les entreprises se remobilisent pour produire et embauchent à nouveau.
Si malgré la reprise, le chômage persiste, c’est qu’il s’agit alors d’un chômage structurel. Celui-ci peut être dû à une démographie défavorable (il est plus difficile de créer des emplois pour tout le monde avec une population en âge de travailler toujours plus nombreuse), mais aussi à des qualifications qui ne correspondent pas aux attentes des employeurs, des charges patronales trop importantes pour embaucher, une réglementation du marché du travail trop « rigide » décourageant les embauches ou encore une fiscalité trop lourde qui peut dissuader aussi bien les travailleurs que les employeurs.
Avec sa réforme du Code du travail, le nouveau gouvernement fait l’hypothèse que l’une des principales causes du chômage français est à trouver du côté structurel, et plus précisément dans la législation. Son argument est le suivant : face aux mutations rapides des marchés auxquelles font face les entreprises, celles-ci ont besoin de plus de flexibilité dans leurs embauches et leurs licenciements. Une législation trop lourde les dissuaderaient d’embaucher plus qu’actuellement, par crainte des coûts qu’entraineraient de futurs licenciements. Le but de cette grande réforme est donc d’apporter plus de flexibilité sur le marché du travail afin d’y remédier.
Autre exemple : la primauté des accords de branches et des accords négociés au sein de chaque entreprise. Auparavant, une norme décidée au niveau de l’entreprise ne pouvait pas prévoir de dispositions moins favorables que celles prévues par le niveau supérieur (dans l’ordre : contrat de travail, accord d’entreprise, accord de branche et, tout en haut, Code du travail). Une telle décision renverserait la « hiérarchie des normes » et permettrait aux entreprises de s’affranchir des contraintes qu’elles jugent trop lourdes.
Une réforme inadaptée ?
Si la situation de la France était bien caractérisée par un chômage majoritairement structurel ayant pour principale cause la rigidité de la législation, alors de telles mesures seraient pertinentes et efficaces. Mais il y a un double problème.
D’une part, cette réforme est potentiellement dangereuse. Comme le signalent ses opposants, elle est susceptible d’engendrer des abus de la part des employeurs. Certes, elle encourage les embauches, mais elle facilite également les licenciements. Cela fragilise donc la protection des travailleurs. On choisit de réduire le chômage en payant le prix d’une sécurité moindre, avec toutes les implications que cela peut avoir (revenus incertains, perte d’emploi…).
D’autre part, il s’agit d’une réforme potentiellement inadaptée. Selon une note publiée récemment par l’INSEE, la législation ne constitue pas la principale barrière à l’embauche pour les employeurs.
Le problème principal auquel font face les entreprises en matière de barrière à l’embauche renvoie plus à l’idée de chômage conjoncturel. En effet, 28 % d’entre elles citent l’incertitude économique. Depuis 2008, la croissance du pays est en berne, ce qui ne favorise pas les embauches pour les raisons mentionnées précédemment.
La deuxième raison pour laquelle les entreprises sont réticentes à embaucher plus qu’elles ne le font provient d’une inadéquation entre la qualification de la main d’œuvre et les attentes des employeurs (argument cité par 27 % d’entre elles). Dans ce cas, on a bien affaire à un chômage structurel, mais sans lien avec une rigidité du Code du travail.
Les risques juridiques associés aux licenciements ainsi que leurs coûts sont tout de même cités, mais il ne s’agit pas des principaux obstacles à l’embauche.
Il semblerait donc que l’on puisse lutter contre le chômage autrement qu’en prenant des mesures qui ne sont pas vraiment attendues par les entreprises et qui sont potentiellement dangereuses pour les travailleurs. En ce qui concerne l’incertitude économique, favoriser la croissance permettrait de favoriser les embauches. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que le pays dispose d’assez peu de marges de manœuvre du point de vue budgétaire et qu’un rythme de croissance soutenu soulève des questions environnementales. En ce qui concerne le degré de compétence de la main d’œuvre, la solution est à trouver du côté de l’éducation et de la formation continue et passe donc par des politiques de long terme.
Ainsi, la réforme du Code du travail annoncée par le gouvernement aura sans doute des effets positifs sur l’emploi, mais pas à n’importe quel prix puisqu’elle risque de fragiliser la situation des travailleurs. Qui plus est, rien ne garantit qu’elle soit suffisante puisque, rappelons-le, le chômage est multiforme. Celui-ci est causé par de multiples facteurs qui demandent donc de multiples réponses coordonnées pour y remédier. Plus qu’un véritable moyen de lutter efficacement contre le chômage, cette réforme apparaît plutôt comme une mesure symbolique qui risque de cristalliser de nombreuses tensions. La « grande folie » ne semble pas prête de s’arrêter.
Guillaume Kremer
Illustration : Pièces et temps de travail. | Libre de droits