En fondant la commission représentant les sans-abri à la Nuit debout à Paris, Sébastien P. ne se doutait pas qu’il sortirait lui-même bientôt de l’alcool après quinze ans d’épreuves. Avec le recul, il raconte les regards vides des passants, l’indifférence de certains policiers. Et sa résurrection. Propos recueillis par RAPHAËL GEORGY
Lorsque nous l’avons rencontré au printemps 2016 sur la Place de la République, il était là sans l’être. Il se souvenait de ses amis, sans plus. Aujourd’hui, il est sorti d’une dépendance à l’alcool et a retrouvé la douceur de vivre et des sentiments subtils qui enchantent ses nombreux amis. Désormais, il est bien là.
Abandonné très tôt par ses parents, il a enchaîné les familles d’accueil. À 17 ans, famille, études, il a tout envoyé balader en espérant travailler et s’est retrouvé à la rue. Au printemps de l’année dernière, nous l’avons rencontré, souvent une canette de bière à la main, se démenant au micro tous les soirs pour défendre les droits de tous les « nomades », comme il dit, en s’engageant dans l’association pour le Droit au logement (DAL), une des premières associations ayant soutenu la Nuit debout. Toujours avec un mot pour les réfugiés. Les âmes bienveillantes qu’il a pu rencontrer, parfois des sans-abri dans la même situation que lui, l’ont aidé à s’en sortir. Sébastien, 31 ans, vit aujourd’hui à Dax (Landes), où il se reconstruit.
Première partie : « l’engrenage »
Revue Pierre. — Comment es-tu arrivé à la rue ?
Sébastien P. — La première fois, c’était des problèmes familiaux, j’avais dix-sept ans. Du jour au lendemain, je n’avais plus rien et les foyers étaient complets alors on se retrouve complètement à la rue. Tu te dis que tu as la volonté de t’en sortir, mais on ne te donne pas envie de t’en sortir, alors à quoi bon vouloir s’en sortir ? C’est comme ça que tu restes dans l’engrenage de la rue. On peut vraiment dire que c’est un engrenage, parce que vous pouvez tomber dans l’alcool, la drogue, les vols, la difficulté pour se laver, la difficulté pour manger, la perte de tous moyens. Et c’est très difficile de s’en sortir.
Une fois dans la rue, c’était difficile de garder le contact avec tes proches ?
C’est un cercle vicieux. Au début, on ne fait pas attention et en fin de compte, on se dit « pourquoi j’ai fait ça, pourquoi j’ai fait ça ? ». Tu en viens à te remettre en question, pourquoi tu n’as pas fini tes études, pourquoi tu n’as pas écouté dans le passé, pourquoi tu n’en as fait qu’à ta tête et puis finalement tu te dis que tu paies les pots cassés et tu te demandes comment tu vas faire.
Dès le plus jeune âge, j’ai été mis dans des familles inconnues. Ce n’est pas une vie pour un gamin. C’est là qu’on comprend que la plupart des enfants placés à la DDASS comme moi, c’est souvent d’anciens délinquants, des anciens prisonniers, des enfants de la rue : on a eu un mal-être dès le début, et on essaie de tourner ce mal-être autrement.
Dans la rue, les passants ne savent pas toujours comment aider un sans-abri…
Principalement, aider, c’est éviter de l’ignorer. C’est déjà un grand coup de main qu’on peut avoir. Après, tu ne peux pas l’aider si lui, il ne veut pas s’en sortir. Cela dépend des personnes. C’est encore l’engrenage qui t’enferme. Plus tu es enfermé dans la drogue et dans l’alcool, plus on va se retrouver au bord d’un précipice parce que dès le matin, tu voudras acheter tes bières, t’iras faire la manche pour acheter ta drogue et puis en fin de compte, tu vas te droguer tous les jours ou même de faire les démarches administratives pour refaire tes papiers.
« Des gens bienveillants, je n’en ai pas rencontré beaucoup »
À quoi pense-t-on lorsqu’on s’aperçoit que les passants te confondent avec le paysage ?
Ça fâche. On se dit simplement que nous, on est encore des êtres humains. En voyant qu’on a aucun regard sur nous, on se dit qu’on nous prend pour des animaux, comme si on n’était pas comme eux. On ne se sent pas méprisés, mais ignorés. Nous, comme être humains, on a quand même un respect de soi-même envers les autres. Mais bon, tout le monde n’a pas le respect de soi-même, y compris des gens qui ne sont pas dans la rue.
Comment arrive-t-on vers l’alcool ?
Moi, c’est arrivé parce que je suis enfant de père et de mère alcooliques. La plupart du temps, c’est à la suite des parents, mais chacun a son histoire. Et puis on ressent un état de manque. Mais derrière la volonté d’arrêter, il y a aussi le ras-le-bol d’être dans ce système. À la fin tu te dis que tu en as vraiment marre et qu’il faut que tu t’en sortes.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la vie de sans-abri ?
Le plus dur, c’est de se dire que ce soir on va dormir dehors. On ne sait pas ce qui va nous arriver demain.
Comment peut-on sortir de cet engrenage ?
La volonté de s’en sortir soi-même. Ensuite, cela dépend où tu vis. Si tu habites une grande ville comme Paris, Lyon, ou Marseille, tu vas galérer parce que la vie est beaucoup plus chère, plus que si tu vis dans une petite ville comme moi à Dax (Landes) où j’ai réussi à avoir un appartement et ouvrir mes droits au RSA par exemple.
Ensuite, si tu te retrouves avec un bon entourage, tu pourras espérer avancer. Le regard de gens qui sont vraiment là pour t’aider. Beaucoup de gens que j’apprécie encore maintenant. Si je ne rencontre que d’autres personnes dans la même situation que moi, je n’ai pas envie de continuer à dialoguer avec eux parce que tu te rends compte qu’ils ne sont pas là pour dialoguer mais pour profiter. C’est le système de la rue, c’est ce qui est triste et dommage.
Le fait que le regard des autres change peut changer quelque chose en toi ?
Cela peut aider, dans le sens où tu te dis que tu n’es plus tout seul, tu as du monde derrière toi, que c’est le moment où il faut réagir. Des gens bienveillants, motivés pour dialoguer, aider. Rien qu’un bonjour par rapport à la politesse, et puis si on veut aller plus loin, on lui propose d’aller prendre une douche chez lui, de l’héberger pendant quelques jours pour qu’il se repose. Des gens comme ça, je n’en ai pas rencontré beaucoup, mais j’en ai rencontré.
Une rencontre peut tout changer ?
Oui. J’en ai la preuve.
Retrouvez la suite de cet entretien dans notre prochaine édition.
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Propos recueillis par Raphaël Georgy
Fondateur de la revue Pierre
Illustration : Installation d’un sans-abri à Paris | DR
Aline Pailler
mercredi 9 août 2017 8 h 39 min
J’aimerais que tu transmettes à Seb mon amitié, ma joie et mon admiration pour son courge et son intelligence et sa générosité. J’ai gardé longtemps des capsules de cannettes pour ses bracelets et j’étais triste de ne pas avoir de ses nouvelles. Je l’ai connu des le premier jour de Nuit Debout et je l’ai vu se battre contre ses démons et la violence de la société qui s’abat sur les gens de la rue… Je l’embrasse.
Aline Pailler et sa fille Laura
Raphaël Georgy
mercredi 9 août 2017 10 h 14 min
Je transmets.
Bien à vous,
Raphaël Georgy
Ba
samedi 19 août 2017 12 h 31 min
J des larmes en lissant ce que seb témoigne il tape sa manche devant mon travaille il était engagé et il voulait s’en sortir Et il a réussi. Bravo mon pote j’espère qu’on va se revoir bientôt prend soin de toi force à toi
Maxence
samedi 19 août 2017 12 h 58 min
Fier de toi frangin